C’est de notoriété publique, Norman Bates a de sacrés problèmes avec sa mère. De son père, on ne sait pratiquement rien si ce n’est qu’il brille par son absence. A l’inverse, créateurs, réalisateurs et interprètes de Norman Bates ont été extrêmement présents pour suivre l’évolution de ce personnage retors. Et cela n’a pas été sans accrocs.
En 1957, l’auteur Robert Bloch suit avec attention un sordide fait divers dans lequel Ed Gain, surnommé alors le boucher de Plainfield est arrêté pour le meurtre d’une femme. La police trouve chez lui de macabres objets fabriqués à l’aide de cadavres déterrés dans les cimetières du coin. Tout comme pour son roman Le boucher de Chicago, inspirés de faits réels, Robert Bloch fait travailler son imagination et ses talents de romancier afin d’en tirer un livre. Livre qui arrive dès sa parution entre les mains d’Alfred Hitchcock qui décide aussitôt de l’adapter au cinéma.
La passation du destin de Norman entre Robert Bloch et le maître du suspense se passe très bien tant l’adaptation d’Hitchcock reste fidèle au roman. Anthony Perkins se fond admirablement derrière les traits dérangés de Norman Bates. On connait la suite, le motel et l’effroyable scène de la douche dans laquelle Marion Crane (Janet Leigh) y laisse sa vie. La folie et les tourments de Bates sont démasqués par Lila Crane (Vera Miles) qui enquête sur la mort de sa sœur. Bates, sous l’emprise d’une mère morte, n’est pas jugé responsable et est directement envoyé à l’asile.
Epaulé par une publicité machiavélique, le film Psychose (1960) d’Alfred Hitchcock fait rapidement partie de ses films mythiques que l’on pense intouchables. Pourtant, en 1982, alors que le maître du suspense a donné son dernier tour de manivelle en avril 1980, Norman Bates, orphelin de son réalisateur, est prêt à sortir de l’asile.
Norman Bates peut encore rapporter de l’argent, Universal Pictures n’entend donc pas laisser dormir un si joli pécule à l’asile. Tom Holland (Jeu d’enfant, Class 1984) est chargé de rétablir notre grand malade en écrivant le scénario d’une suite de Psychose. Anthony Perkins décline dans un premier temps l’opportunité de reprendre son rôle de psychopathe. Le studio ne baisse pas pour autant les bras et propose à un autre taré, Christopher Walken, d’interpréter Bates. Ne voulant pas se faire voler la vedette, Perkins revient sur sa décision et accepte. Contre toute attente, Psychose 2, réalisé par Richard Franklin (Coma, Link) est un succès. Des mauvaises langues diront que ce succès est du au fait qu’il n’y avait pas beaucoup de films à aller voir lors de sa sortie durant l’été de 1983. Pourtant, après une absence aussi longue et en reprenant un sujet aussi casse-gueule, Psychose 2 est dans une certaine mesure une réussite. Franklin abandonne le noir et blanc pour la couleur dans cette suite ou le pauvre Norman se fait harceler jusqu’à redevenir fou par Lila Crane, toujours jouée par Vera Miles, qui n’a pas digéré d’avoir perdu sa sœur. Le fantôme de la mère de Norman plane sur un Perkins toujours aussi malsain. Jerry Goldsmith reprend avec intelligence la musique effrayante composée par Bernard Herrmann. Anthony Perkins prouve avec ce film qu’il est Norman Bates et que ce personnage peut exister sans la caméra d’Alfred Hitchcock. Mais la plume de Robert Bloch n’a heureusement pas dit son dernier mot.
Pendant la production de Psychose 2, on imagine que Robert Bloch est au courant que le personnage qu’il a inventé va reprendre du service au cinéma. Non concerté pour l’écriture du scénario, Bloch a du être excédé de voir son personnage lui échapper. Bloch pense qu’une suite au film d’Hitchcock est une hérésie. Il se sent donc obligé de répliquer en écrivant son propre Psychose 2. Ce livre, sorti en 1982, n’a rien à voir avec le scénario du film qui sortira l’année suivante. Robert Bloch prend un autre chemin que le scénariste Tom Holland et règle ses comptes avec Hollywood. Dans ce roman, Norman Bates s’échappe de l’asile déguisé en religieuse et n’est en rien guéri. Ironiquement, Bloch se fait un plaisir de lancer Norman Bates, ou son spectre, au milieu de l’équipe du tournage d’un film retraçant sa vie. Bloch se venge de l’industrie du cinéma puisqu’évidemment, chaque personnage participant au tournage de ce film, vulgarisant et ridiculisant la mémoire du personnage de Norman Bates, se fait admirablement trucidé. Même si Psychose 2 de Robert Bloch a été moins lu que Psychose 2 avec Anthony Perkins n’a été vu, Bloch a réussit à écrire un livre terrifiant afin de récupérer son déséquilibré bébé et de montrer qui est le véritable père de Norman Bates.
Sidéré par le succès du film Psychose 2, Anthony Perkins tombe dans le piège facile des séquelles, phénomène alors très répandu à Hollywood, et réalise Psychose 3 en 1987. Avec sa none qui tombe du sommet d’un clocher en ouverture du film, Perkins nous offre un hommage calamiteux à Sueurs froides (Vertigo) d’Alfred Hitchcock. La suite du film n’est pas glorieuse et la sauce d’un Norman Bates toujours hanté par sa mère ne prend à aucun moment dans cette triste suite. Le public ne s’y trompe pas et boude ce film qui sort de l’affiche rapidement pour tomber aux oubliettes. Anthony Perkins interprète une dernière fois Bates en 1990. Ce dernier film de Mick Garris (Critters 2, La nuit déchirée) est uniquement produit pour la télévision. Voir Norman Bates en mari inquiet pour sa femme enceinte et sa future descendance est une horreur pour les spectateurs. Et le plus outré d’entre eux sera encore une fois Robert Bloch qui réplique aussitôt.
La même année, il fait fort en sortant Psychose 13. Le titre est un joli pied de nez à l’absurdité de tous ces numéros de suite. Au cinéma, Norman Bates est devenu un phénomène de foire et Bloch part de ce constat pour monter une intrigue autour de la reconstruction du Bates Motel, transformé par des entrepreneurs peu scrupuleux, en parc d’attraction. Pour en finir, Bloch avait pris le parti de tuer Bates dans Psychose 2 mais son esprit, constamment ravivé par d’autres, frappe tous les salauds qui souillent sa mémoire. Psychose 13 est un roman assez jouissif et caustique sur toutes les dérives qui ont entouré le personnage de Norman Bates. Il est aussi visionnaire quand on sait que la maison de Psychose se trouve aujourd’hui visitée par des ploucs en short à Disneyland Paris.
Anthony Perkins meurt en 1992 et Robert Bloch, le véritable père de Norman Bates, le suit dans la tombe en 1994. Bates est alors orphelin. Apparaissant dans des épisodes des Simpsons ou pastiché dans ceux de K2000, Bates est entré par la grande porte dans la culture populaire.
En 1998, Gus Van Sant lui offre un vibrant hommage en réalisant un remake du Psychose d’Alfred Hitchcock. Van Sant a compris qu’un tel film est vraiment intouchable. Avec un immense respect et une incroyable virtuosité, il reprend donc le film plan par plan en y apportant seulement une touche de couleur que n’a pas la version originale.
Depuis une dizaine d’année, Norman Bates semble définitivement mort. Espérons qu’il soit heureux… avec sa maman.