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John Barry : une vie héroïque

Quel Palmarès ! Certes, avec sa voix sussurante et ses yeux larmoyants trahissant une sensibilité que l’on sent un brin exagérée, on imagine mal Jane Birkin rouler les mécaniques. Mais lorsque la chanteuse de ‘Con c’est con ces conséquences’ regarde dans son rétroviseur, elle a de quoi s’enorgueillir. Non par sa noble descendance directe avec Charles II, Roi d’Écosse et d’Angleterre, ni par les faits d’armes de son père aidant un certain François Mitterrand pendant la dernière guerre mais par sa vie, une rencontre et un amour.
Fille de l’actrice Jude Campbell et muse de Noel Coward, la petite Jane était prédestinée à ne faire plus qu’une avec le septième art. Avec un flair et un goût qu’on lui connaît, elle ne pouvait que partager sa vie avec un grand homme de cinéma. Et Jacques Doillon n’est pas si grand que ça. Oui, un homme d’image ne pouvait suffire à la compatriote d’Horatio Nelson puisque celle-ci était hantée par des mélodies. En plus de la pellicule, il fallait que son prince charmant y apporte de la musique. Mais on ne rencontre pas un génie tous les jours. Tous les musiciens n’ont pas un sens inné de la mélodie. Tous les musiciens n’ont pas les dispositions pour être des arrangeurs de talents. Tous les musiciens n’ont pas une formation classique et jazz affermie. Alors, lorsque Jane tombe sur la perle rare, l’amour lui ouvre ses bras. La bague au doigt, son cœur bat en rythme la chamade et sa vie devient symphonie à la naissance d’une adorable jolie fille. C’est ainsi que Jane Birkin est devenue Madame John Barry.

Nous sommes des enfants de la chance car nous avons tous un jour connu les transes sur la musique de John Barry. Ses thèmes, souvent construits de manière à ce que le contrepoint ait autant d’importance que la mélodie en ont fait sa patte facilement identifiable. Comment oublier l’air entêtant de ‘Macadam Cowboy‘ qui nous fait suivre Jon Voight accompagné de Dustin Hoffman et sa patte folle dans un New-York tellement déglingué qu’il n’existe plus ? Mais Barry sait tout aussi bien nous faire danser avec les loups qu’avec des dandys fumistes et précieux essayant d’attraper le ‘Knack’ dans un Londres qui swinguait un peu plus que maintenant. Il nous emmène également au fin fond de l’Afrique du Sud pour orchestrer le massacre d’une petite garnison anglaise par des Zoulous qui s’avèrent bien dangereux lorsqu’ils ne jouent pas du tam-tam. On n’écoute pas que sa musique au cinéma puisqu’elle est amicalement entrée dans nos foyers avec les aventures de Lord Brett Sinclair et Danny Wild. Et pour ses notes de noblesse, Barry nous a surtout baladé autour du monde en suivant les exploits de l’agent secret le plus couillu de sa majesté, James Bond.

En 1975, après une dizaine d’années de furieuse activité, John Barry a besoin de vacances. C’est en allant signer un énième contrat sur le sol américain, qu’il tombe éperdument amoureux des États-Unis au point de décider d’y poser définitivement ses valises. De ces premiers instants américains, Barry veut à tout prix graver sur disque les émotions qu’il a pu ressentir. Armé d’une formation jazz et d’une formation classique, Barry  passe ses vacances en studio. Il se ressource en composant ‘Americans‘, son premier disque solo. Exercice de style alors unique car il est le seul commanditaire de son œuvre. Il en résulte un disque magnifique et improbable entre jazz et musique contemporaine. John Barry invente la musique de film sans film.

Si vous vous imaginez accoudé à un comptoir buvant un Jack Daniels avec pour musique de fond un groupe de rock bouseux, ‘Americans‘ vous fera rapidement bouger le cul de votre tabouret pour sortir du navet dans lequel vous êtes en train de rouiller. ‘Americans‘ offre une ballade à travers New-York bien loin de tous les clichés répétés par des scénaristes à l’imagination sèche. Ici, nous touchons au sublime et le cinémascope s’impose car la musique de Barry dégage des ambiances nostalgiques et des climats très contrastés. Avec ses deux formations, John Barry joue avant tout sur les textures. Ses arrangements vertigineux ont tellement de relief qu’au son de chaque instrument, on voit apparaître un nouveau pan de la ville. Comme dans le livre New-York de Paul Morand, John Barry nous offre une vision européenne de la grande pomme. Dans la longue ‘Yesternight Suite‘, inadaptée au cinéma de par sa durée, on visite une grande partie de la ville. Si le rythme s’accélère, alors nous nous rapprochons des quartiers des affaires. Lorsque le trombone soyeux de Dick Nash se fait entendre, on se promène nonchalamment sur les berges de l’Hudson ou dans un Central Park somnolant. John Barry souligne les climats de chaque quartier de la ville, et cordes et instruments à vent se font chorus comme le soleil se reflète d’un building à un autre. Rien n’a été oublié puisque Barry inclus dans cette suite, des fragments des incontournables standards que sont ‘By Myself‘ et ‘As Time Goes By‘. Un peu comme si lors de cette fantastique ballade, ces titres sortaient d’une fenêtre lointaine.

La réédition d’Americans offre en prime quatre génériques composés de manière plus classique par John Barry pour la télévision. Ces morceaux pourront rassurer certains admirateurs peu enclins aux expérimentations de cet album.

Après un tel festival d’innovations, d’intelligence, de perfectionnisme et donc de génie, on peut comprendre que Jane Birkin ait eu besoin d’un peu de repos dans des bras plus pantouflards. Tout le monde ne peut pas avoir une vie héroïque.

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